THIERRY GANDILLOT
POURQUOI LES KERGUELEN ?
Les greniers font rêver. On espère toujours ouvrir une malle au trésor perdue au milieu d’un océan de vieilleries. Celui de Condat - notre maison de famille - auquel on ne peut accéder que par un escalier mal commode ne fait pas fantasmer. Sombre, il est faiblement éclairé par la lumière du jour qui parvient à travers une petite lucarne encombrée de toiles d’araignées. Les coffres poisseux couverts de poussière n’ont pas été ouverts depuis des dizaines d’années. Au moment de les vider, je dois me munir de gants en plastique, d’un masque de protection et d’une lampe frontale.
Au milieu d’une masse d’archives jetées en vrac, je repère des piles d’actions et d'obligations aux noms exotiques ou désuets : Société des Bois Entrecroisés; Voies Ferrées Françaises; Logements Economiques pour Familles Nombreuses; The New Emeralds Company; Société Saint-Marc; L’Appareil Contrôleur; Emprunt du Royaume de Serbie; Emprunt Russe... J’imagine que si ces titres ont fini dans ce purgatoire limousin, c’est que les sociétés qui les ont émises ont fait faillite. Les coupons n’ont pas été détachés.
Une série d’actions m’intrigue particulièrement : « Compagnie Générale des Îles Kerguelen, Saint-Paul et Amsterdam ». Portant la précision « Société anonyme française de colonisation », ces titres ont été émis en 1930. Ces actions de cinq cents francs au porteur sont imprimées sur un fond rose orangé et encadrées d’une frise bleu marine dentelée. Le siège social est à Paris. Les statuts ont été déposés en l’étude de Maître Panhard – et ils ont été modifiés par les assemblées générales extraordinaires des 24 septembre et 17 novembre 1930. Elles ont donc été souscrites par Jean Gandillot, mon grand-père, alors âgé de trente-cinq ans.
Pourquoi les Kerguelen, Saint-Paul et Amsterdam ? Qu’est-ce qui a bien pu pousser Jean Gandillot, maître de conférences en géologie à la Faculté des Sciences de Paris, à investir dans une société aux horizons aussi lointains ? Au sud du sud de l’océan Pacifique, les continents les plus proches sont l’Afrique, à des milliers de kilomètres à l’ouest et l’Australie, à l’est. Plus bas, c’est l’Antarctique.
Quelle pouvait bien être, ensuite, l’activité de cette « société anonyme de colonisation » sur cette terre australe de 7215 km2 - l’équivalent de la Corse -, difficile d’accès et pratiquement inhabitée ? Que pouvait-on espérer tirer de ce puzzle d’îles hostiles battues par les vents ? Pourquoi, enfin, la société a-t-elle fait faillite et quand ?
En croisant sur Internet Gandillot et Kerguelen, je tombe directement sur une entrée Wikipédia : « Le lac Gandillot est un lac français de l’île principale de l’archipel des Kerguelen dans les terres australes et antarctiques françaises ». Longitude : 69° 45’ 55’’. Latitude : 49° 30’ 00’’. Altitude : 45 mètres. Il est situé près du Halage des Swains dans le plateau des Lacs, au nord de Port-aux-Français, la porte d’entrée des Kerguelen. Sur Google, une petite flèche rouge m’indique sa localisation au sud-est du mont Ross, le point culminant de l’île (1850 mètres). Sur Google Earth, je peux enfin découvrir une vue du lac Gandillot.
Un lac Gandillot … Des actions « Kerguelen, Saint-Paul et Amsterdam » … Le mystère s’épaissit. L’enquête commence.
Plus tard, l’enseigne de vaisseau Charles-Marc de Boisguehenneuc, le second du Gros-Ventre, le navire qui accompagne La Fortune, débarque. « J’ai fait arborer le pavillon et pris possession au nom du Roy mon maître en faisant crier trois fois Vive le Roy et tirer trois décharges de mousqueterie. » Les Kerguelen sont françaises.
Il s’en est fallu de peu …
Le capitaine James Cook arrive quatre ans après Yves-Joseph, trop tard pour planter l’Union Jack sur ces terres ingrates qu’il nommera « Îles de la Désolation ». Cook débarque au fond de la baie de l’Oiseau à l’extrémité de la côte nord-ouest de la péninsule Loranchet. le jour de Noël 1776 en un endroit qu’il nomme Christmas-Harbour (Port-Christmas pour les Français).
Sur une «mer de lait », des chaloupes de la « Resolution » et de la « Discovery » vont reconnaître la côte. « Elles revinrent vers les sept heures après avoir trouvé une lettre dans une bouteille, écrit un officier. Cette lettre nous apprit que cette île avait été découverte par Mr. de Kerguelen en 1772, qu’il y a beaucoup d’eau et point de bois, qu’elle est stérile et inhabitée, que les côtes abondent de poissons et que les rivages sont couverts de veaux et de lions de mer et de pingouins. »
C’est également à Christmas-Harbour qu’une goélette, la « Jane Guy », à bord de laquelle se trouve le jeune Arthur Gordon Pym, jette l’ancre en octobre 1837. Comme l’officier de Cook, Pym est frappé par l’abondance des volatiles qui peuplent ces lieux. Edgar Allan Poe en profite pour pisser de la copie. Il analyse longuement les façons de marcher des différentes espèces de pingouins ou l’organisation sociale des albatros qui le fascinent au point d’y consacrer plusieurs pages puisées aux meilleures sources documentaires. (On se doute que Poe n’a jamais mis les pieds sur les Îles de la Désolation).
Pendant trois semaines, l’équipage de la « Jane Guy » chasse le veau marin et le phoque. Entre-temps, le capitaine accompagné d’un matelot s’en est allé explorer l’intérieur des terres. Ils en reviennent avec « un rapport détestable, les représentant comme une des contrées les plus tristes et les plus stériles de la terre ».
La France va vite oublier ces terres du bout du monde qui lui appartiennent. Il faudra que, sous le Second Empire, une compagnie anglaise de navigation, demande au gouvernement de Napoléon III l’autorisation d’y établir un dépôt de charbon pour que le ministère de la Marine sonde ses archives. Et retrouve le document de prise de possession rédigé par Yves de Kerguelen. « Il avait suffi que les Anglais s’intéressent à ces îles lointaines, écrit Jean-Paul Kauffmann dans « L’arche des Kerguelen » (Flammarion, 1993) pour que la France s’aperçoive qu’elles leur appartenaient. On se doute que la révélation fit naître aussitôt la méfiance. »
Survient la guerre de 1870 et la France oublie ces « quelques arpents humides ».
Vingt ans plus tard, au début des années 1890, l’Australie, possession de la Couronne britannique, émet l’intention de s’installer aux Kerguelen. Un certain Henry Bossière qui séjourne à Londres, tombe sur l’information. Son sang de patriote ne fait qu’un tour. En 1893, avec René, son frère, il demande à l’Etat français de leur concéder un droit d’exploitation des ressources marines et terrestres de l’archipel pour une durée de cinquante ans. Ils n’y ont jamais mis les pieds.
L’Etat dit oui – pourquoi ? Mystère …
En 1895, René est nommé résident de France aux Kerguelen. Son idée ? Lancer l’élevage du mouton et installer une industrie baleinière et phoquière.
Il n’y a là aucun hasard. Fils d’un armateur du Havre qui fut le dernier à armer un baleinier à voile, le Gustave, Henry Bossière poursuivait avec son frère René un projet lentement mûri. Ils s’étaient rendus une première fois, en 1881, en Patagonie, une région qui avait, selon eux, beaucoup de points communs avec les Kerguelen. Ils visitèrent des élevages d’ovins, restèrent cinq ans en Argentine pour étudier la manière d’acclimater le mouton aux Kerguelen. Ils s’informèrent aussi des procédés d’élevage anglais aux Malouines. En fait, ils ambitionnaient de mettre en valeur les Kerguelen sur le modèle de la Patagonie où leur père exploitait une usine d’huile de phoque.
Sans grand succès, c’est le moins qu’on puisse dire. En 1901, après un premier échec, les frères rentrent au Havre, ruinés. Ils deviennent ensuite chasseurs de baleines et signent avec une société norvégienne une convention pour installer une station baleinière, établir un élevage et exploiter le charbon. En 1911, ils fondent la Société des Îles Kerguelen.
En 1913, ils achètent un millier de moutons malouins pour les amener au fond de la baie du Hillsborough dans le golfe des Baleiniers, à Port-Couvreux. Malheureusement, la moitié d’entre eux périssent pendant le transport. L’année suivante, quand débute la guerre de 14/18, le troupeau doit être abandonné. Pendant toute la Première Guerre mondiale les moutons des Bossière restent à l’état sauvage, mais peu survivent.
Un second établissement est tenté en 1920, toujours à Port-Couvreux. Un choix malheureux. Depuis le début, le lieu semble porter malheur. Lors de son expédition, au début des années 1990, Jean-Paul Kauffmann écrit : « Je n’aime pas cette herbe grasse, presque poisseuse, insolite aux Kerguelen. Son foisonnement a quelque chose de vénéneux ». Bergers et troupeaux ne parviendront jamais à s’habituer à cette baie isolée et difficile d’accès. On ne retrouvera jamais les moutons laissés à l’état sauvage pendant la première guerre mondiale. Sur les quatre bergers qui séjournèrent à Port-Couvreux entre en 1922 et 1927, deux moururent.
En 1928, le jeune Edgar Aubert de la Rüe, est choisi par la Sorbonne pour explorer les Kerguelen. « Ce Genevois d’ascendance française, écrit Kauffmann à son propos, était un homme de rigueur et de foi tombé dans l’oubli en raison même de sa rectitude morale. Dans son livre « Deux ans aux îles de la Désolation », on ne le prend jamais en défaut. Il ne croyait qu’aux faits. Il n’avait pas d’indulgence pour les ignorants qui débarquant à Port-aux-Français croyaient aborder une terre vierge. L’étrangeté des Kerguelen l’a pourtant décontenancé. Cet homme austère a aimé la rudesse presque abstraite de la Désolation et sa « tristesse infinie ».
Aubert de la Rüe arrive aux Kerguelen le 12 novembre 1928; il en repart le 25 février 1929. Les frères Bossière financent l’expédition. L’un de ceux qui envoient ce jeune scientifique de 27 ans dans ces terres désolées du Pacifique Sud ? Jean Gandillot, à peine plus âgé qu’Edgar - il a 33 ans. Dans la « Toponymie des Terres australes » de 1973, on lit : « J. Gandillot, maître de conférences à la faculté des Sciences de Paris, fut l’un des instigateurs de la première mission d’Edgar Aubert de la Rüe aux Îles Kerguelen en 1928/1929. »
Edgar séjourne à Port-Couvreux et à Port-Jeanne d’Arc, explore les côtes et les îles sur un baleinier. Sur ces terres encore vierges, le géologue a toute liberté de nommer à sa guise les plaines, les fjords, les lacs, les vallées, les monts qu’il découvre. Il n’oublie pas ses collègues de la Sorbonne. C’est ainsi qu’il y a un mont Léon Lutaud (directeur du Laboratoire de Géographie physique), une arête Jérémine ( Mme Jérémine était assistante de recherche ; elle a, pour la thèse de Jean Gandillot, « contrôlé des diagnoses sous le microcosme polarisant » et l’a « guidé dans les conclusions à tirer dans l’analyse des roches »).
Et un lac Gandillot, donc.
Edgar rentre en France après un peu plus de trois mois de campagne au début de l’année. Même si le géologue n’a trouvé aucune trace de minerai, il partage lors de ce premier voyage l’enthousiasme communicatif des frères Bossière. Ces utopistes malchanceux ou maladroits espèrent toujours malgré leurs échecs antérieurs élever des moutons, produire de l’huile de baleine et de phoque ou récolter des langoustes qui pullulent dans le cratère volcanique noyé de Saint-Paul.
Ils échoueront en tout.
Aubert de la Rüe s’est-il ouvert de ces opportunités à son maître de conférences Jean Gandillot ? Toujours est-il que ce dernier a, en 1930, acheté des actions de la Compagnie générale des Îles Kerguelen, Saint-Paul et Amsterdam.
Un drame va, une nouvelle fois, ruiner les espoirs des frères Bossière, et les ruiner tout court. C’est l’affaire des « Oubliés de Saint-Paul ».
Tandis qu’Henry tente d’élever des moutons aux Kerguelen, René mise sur la langouste. En 1929, il crée une société « La Langouste française », qui exploite une pêcherie et une petite conserverie. La pêche dans ce cratère volcanique à moitié effondré est miraculeuse. On ramasse les langoustes quasiment à la main.
À la fin de la saison, l’installation ferme ses portes. Pour garder les lieux, le contremaître fait appel à des volontaires. Sept Bretons se proposent de rester à Saint-Paul pour assurer la maintenance de l’usine.
Mais les sociétés des frères Bossière battent de l’aile et au cours de l’année 1930, ils en perdent le contrôle. Les nouveaux actionnaires imposent de dissocier l’activité de Saint-Paul, rentable, et celle des Kerguelen, déficitaire. Ils créent, donc, deux sociétés distinctes : « La Langouste française » et « Pêches australes ».
L’armateur tente de s’opposer à cette restructuration, mais le besoin d’argent frais l’en empêche. Pris à la gorge, otage des banquiers, René Bossière est contraint de signer l’accord : « L’Austral » sera dorénavant affecté à la chasse aux phoques aux Kerguelen. « La Langouste française » devra donc armer son propre bateau, un vieux vapeur de 1500 tonnes rebaptisé « Île Saint Paul. » ( « Les Oubliés de Saint-Paul » de Daniel Floch, éditions Ouest-France).
René Bossière, qui sait que ses Bretons sont sur place, veut envoyer un bateau pour les ravitailler. Mais il n’est plus le maître de la situation. Les Bretons devaient recevoir des vivres frais en juin 1930, ils ne le seront pas. En septembre, ils ne sont plus que cinq à Saint-Paul; le 27 octobre, trois. Quand finalement, on vient les chercher, avec des mois de retard, quatre sont morts du scorbut.
La nouvelle atteint la France à l’aube de l’année 1931. Le scandale est immense. Une campagne de presse se déclenche. L’opinion s’indigne, ruinant à jamais le rêve austral des Bossière et leur réputation.
Le sort des malheureux bretons n’est connu, on l’a vu qu’au début de 1931. Durant toute l’année 1930, une campagne de recrutement à grande échelle se déploie à Madagascar au nom d’une « union sacrée entre les capitaux malgaches, réunionnais et mauriciens qui doivent mener une œuvre grandiose dans les mers du Sud ». Une centaine de travailleurs malgaches répondent à l’appel dans l’enthousiasme. Personne, rappelons-le, ne sait encore que des hommes sont en train de mourir du scorbut sur l’île aux langoustes. Pas même Aubert de la Rüe. Encore moins Jean Gandillot.
C’est sur « L’Austral » justement que le jeune géologue retourne aux Kerguelen début 1931, grâce à une modeste subvention du Ministère des Colonies et le Gouvernement général de Madagascar. Le bateau à bord duquel il effectue le voyage depuis Madagascar, est affrété par « La Langouste française ». Après avoir déposé une petite colonie de pêcheurs bretons et malgaches, « tous en bonne santé », qui doivent faire tourner les pêcheries et la conserverie alors en pleine activité, le cargo file déposer le géologue aux Kerguelen.
Il devait y rester un an. Mais un nouveau drame, va interrompre la mission. « L’Austral », raconte Aubert de la Rüe, venait de recevoir des nouvelles catastrophiques de l’île Saint-Paul, sans médecin, où les Malgaches mouraient en grand nombre, du scorbut, semblait-il. (…) Au début d’avril, « L’Austral » s’arrêtait devant Saint-Paul où nous demeurâmes plusieurs jours. Le docteur Lazaret prodigua ses soins, mais les morts se multipliaient. Les victimes étaient surtout des hommes, plus rarement des femmes, tandis que les enfants étaient épargnés. Quant aux Européens, tous étaient indemnes. Il s’agissait d’une épidémie de béribéri qui se solda par une trentaine de décès. »
Pendant le voyage du retour vers Tananarive, une dizaine de Malgaches mourront encore. L’explication de cette nouvelle tragédie fut trouvée plus tard par les chercheurs de l’Institut Pasteur de Tananarive. « Aucune maladie ne s’était développée pendant la première campagne de 1929-1930, écrit Daniel Floch. Durant cette saison, la nourriture était faite de riz rouge. L’année suivante, seul du riz blanc fut embarqué à destination de Saint-Paul. Importé d’Indochine et décortiqué, il ne contenait plus les éléments nutritifs indispensables. ». On invoque aussi l’absence de viande et de légumes frais, le manque d’hygiène et la promiscuité des habitations. L’évacuation des déchets de langoustes, enfin, n’était pas assurée. Un long procès s’ensuivit, qui vit les victimes au final faiblement indemnisées.
Quand Jean Gandillot achète des actions de la « Compagnie générale des Îles Kerguelen, Saint-Paul et Amsterdam », vers la fin de l’année 1930, il n’est évidemment pas au courant de l’affaire des malheureux oubliés de Saint-Paul qui ne sera révélée qu’en janvier 1931. Cet investissement devait certainement plus à son goût pour l’aventure et à la part de rêve qu’il portait qu’à un mobile financier. Il y avait peut-être aussi un côté patriotique dans la mesure où les Kerguelen, que plusieurs nations nous enviaient, étaient le bastion de la présence française dans les mers du Sud. Il n’a par ailleurs jamais été actionnaire de « La Langouste française ».
De cette triste affaire, il ne reste qu’une pile d’actions de la Compagnie des Kerguelen ; et un lac qui porte le nom des Gandillot dans l’extrême sud de l’océan Pacifique.
Après l’affaire des « Oubliés de Saint Paul », les derniers colons des Kerguelen sont rapatriés en catastrophe. Les moutons sont abandonnés ; les trois porcs de l’étable abattus et laissés sur place. En 1940, les marins allemands de « L’Atlantis », qui fait relâche à Port-Couvreux, découvrent les cadavres des porcs, momifiés.
Déshonorés, ruinés, les frère Bossière achèvent leur vie dans la solitude, l’opprobre et la tristesse. René se retire à Touffreville, Henry à Mortagne-au-Perche. Ils meurent à six mois d’intervalle en 1941, oubliés de tous. Pourtant, plus tard, un timbre à leur effigie sera édité et une plaque de bronze scellée à Port-aux-Français. Deux urnes contenant de la terre des Kerguelen seront rapportées en France et déposées dans leurs tombes au cimetière de Touffreville.
Les Bossière, c’est le moins qu’on puisse dire, n’ont pas eu la main heureuse. Car il y avait de l’avenir dans le mouton aux Kerguelen ! Pas à Port-Couvreux, mais sur l’Île Longue dont le point d’accès par mer s’appelle Port-Bizet. Race de mouton résistante du Cantal, reconnaissable à ses poils noirs à l’exception d’une bande blanche du museau aux cornes, le bizet a été introduit en 1958. Jean-Paul Kauffmann les a vus en 1991 : « Une dizaine de bêtes trottinent à mi-pente. D’autres sont vautrés dans l’herbe grasse. Leur laine est si épaisse et si hirsute qu’ils ressemblent de loin à des animaux préhistoriques. Ce troupeau d’aurochs blancs caracolant dans une savane inconnue accentue la couleur de l’herbe, étonnamment tendre. »
Raffolant de l’azorelle et du chou de Kerguelen, aliments naturels auxquels s’ajoute le fourrage fourni par les bergers, ces moutons se reproduisent vite - on parle de trois mille cinq cents à quatre mille cinq cents têtes. Jusqu’en 2006, deux à trois cents bêtes sont abattues par an pour ravitailler la base scientifique de Port-aux-Français. Les congélateurs regorgent de viande.
Mais il était écrit dans le grand livre de l’écologie historique que le mouton ne s’implanterait pas aux Kerguelen. La création, en 2006, d’une réserve naturelle a interdit les espèces végétales et animales introduites condamnant ainsi l’élevage du bizet. La dernière séance d’abattage eut lieu en 2O12. Quatre ans plus tard, les enclos sont détruits et le dernier berger quitte l’Île Longue.
Ironie de l’histoire, sans le savoir les frères Bossière ont produit un trésor aux Kerguelen. Ni mouton, ni langouste, ni baleine : un timbre. Un pli revêtu de la marque postale « Résidence de France République française – Îles Kerguelen » constitue aujourd’hui le joyau d’une collection consacrée aux Terres Australes et Antarctiques Françaises (TAAF) ».
La première empreinte date de 1909. C’est la plus rare. La seconde fut utilisée entre 1912 et 1925.
Tous les philatélistes rêvent de posséder l’une ou l’autre ; ou les deux.